Bilan carbone du parc de Saint- Nazaire : une manipulation grossière

25/06/2024

Résumé : Le document publié sous la responsabilité d'EDF renouvelable et repris par la presse sur le bilan carbone du parc de Saint- Nazaire (parc éolien en mer de Saint Nazaire, bilan carbone pour l'ensemble de son cycle de vie) constitue une imposture complète. Les chiffres de référence pour estimer les économies en émission carbone sont grossièrement surestimés (72 g de CO2 e. / kWh au lieu de 32 -ref RTE 2023), l'année 2022 ( avec la faiblesse de la production nucléaire dûe aux phénomènes de corrosion sous-contrainte) est prise comme référence et la méthodologie est inadmissible en ce qu'elle ne prends pas en compte pas ce à quoi l'éolien se substitue réellement ( soit le nucléaire) et la nécessité d'un back-up thermique en période de pointe et de production éolienne déficiente. Sans prise en compte de ces effets, la production évitée de gaz à effet de serre correspond annuellement…à l'empreinte carbone de mille ou deux mille Français) ; avec leur prise en compte, l'effet de l'éolien sur les émissions de gaz à effet de serre est en fait sans doute négatif

1) Le parc éolien de Saint-Nazaire : bilan carbone de la construction et de l'exploitation

En mai 2024, (oui, on a un peu de retard, mais nous essayons à PIEBîEM de mener un combat de fond contre la désinformation en matière d'éolien en mer et on est facilement débordé), la presse s'est faite l'écho du dévoilement par EDF Renouvelables du bilan carbone du parc de Saint-Nazaire (cf notamment Le Marin Lien)

L'article du Marin est basé sur un rapport du cabinet Ouvert de décembre 2023, il est assez difficile de trouver des références sur son travail. Disons que je ne le recommanderais pas et qu'il faudrait sans doute envisager de le fermer, tant son travail parait bâclé. Chacun pourra en juger au lien suivant  et ci-joint.

La conclusion est la suivante : « Le parc éolien en mer de Saint Nazaire est entré en service en décembre 2022 pour une durée de 25 ans. Il est composé de 80 éoliennes de 6 MW chacune. Sa production équivaut à la consommation d'électricité de 700 000 habitants. Le développement, la construction, l'exploitation et, à terme, le démantèlement du parc éolien en mer de Saint Nazaire contribuent à l'émission de gaz à effet de serre pour un volume estimé à 794 628 tonnes équivalent CO2 pour l'ensemble de son cycle de vie. Cela équivaut aux émissions de gaz à effet de serre d'environ 100 000 français pendant 1 an. Rapportée à sa production électrique, l'émission de gaz à effet de serre générée par le parc éolien en mer de Saint Nazaire est de 18,3 g de CO2e/ kWh. Le facteur d'émission du mix énergétique français est quant à lui situé à 72 g de CO2 e. / kWh en 2022. »

NB pour rappel : la production nucléaire émet 4 g CO2 e/kWh 

Le seul point négatif évoqué par la cabinet Ouvert concerne la recylabilité des pales des éoliennes : « le recyclage des pales nécessite encore des avancées technologiques mais EDF Renouvelables s'est engagé en 2023, pour tous les parcs sous son contrôle, à réutiliser, recycler ou valoriser les pales d'éoliennes lors de leur fin d'exploitation, en en interdisant la mise en décharge. Une solution technique est donc attendue d'ici à 2047. » ( C'est pas comme si on se débarrassait du problème !)

2) 1ére manipulation : la consommation d'électricité de 700.000 habitants

C'est assez lassant à chaque fois de débusquer cet élément de pure propagande…. Alors 1) C'est la consommation purement domestique ( et hors chauffage), on reste chez soi entre télé et frigo, pas de train, pas d'école, pas d'usines, pas d'hôpitaux ; 2) Ces 700.000 habitants n'auront de l'électricité qu'au mieux allez, 40% du temps ; 3) Et ils en auront quand cette énergie fatale qu'est l'éolien voudra bien produire et que le vent soufflera suffisamment ; 4) Et enfin, ces 700000 habitants ne sont pas en Loire Atlantique, mais plus probablement en Allemagne, les électrons produits étant injecté dans le réseau européen !

3) 2ème manipulation : le parc éolien de Saint-Nazaire permet d'éviter chaque année l'émission de 93 135 tonnes de CO2 équivalent…

Le cabinet Ouvert donne sur sa méthodologie les renseignements suivants : « Au regard du Bilan Carbone mis à jour en 2023, et compte tenu du volume d'électricité produit par le parc éolien en mer de Saint-Nazaire pour toute sa durée d'exploitation (25 ans), le facteur d'émission de la production électrique du parc éolien en mer de Saint Nazaire, c'est-à-dire la quantité de gaz à effet de serre émise par un kWh d'énergie produite, est de 18,3 g CO2 e / kWh. A titre de comparaison, en 2022 en France continentale, la production d'un kWh d'électricité émet en moyenne 72 g CO2 e / kWh . Ce niveau d'émission est fonction du mix énergétique actuel de la France continentale…La production d'électricité par le parc éolien en mer de Saint Nazaire permet d'éviter chaque année l'émission de 93 135 tonnes de CO2 équivalent, en comparaison avec les émissions engendrées par le mix énergétique de France continentale pour la même quantité d'énergie produite » (soit pour une empreinte carbone de 11 tonnes équivalent CO2/ans, la consommation de 8400 français !…)

Il est difficile de comprendre d'où vient ce chiffre de 72 g CO2e/ kWh et ce que signifie cette comparaison avec le « mix énergétique » (et non le mix électrique ?) français.

2022, année exceptionnelle : En 2022, année particulièrement défavorable en raison des problèmes de corrosion sous contrainte dans les réacteurs nucléaires, RTE signale que le recours accru aux centrales thermiques a entrainé une augmentation des émissions liées à la production d'électricité, qui ont atteint 25 MtCO2éq (contre 21,5 MtCO2éq en 2021). Même dans cette situation, la France a eu des émissions moyennes par kWh de l'ordre de 7 fois inférieures à celles de l'Allemagne, grand pays de l'éolien (56 g CO2 eq par kWh pour la France, contre 387 g CO2 eq par kWh pour l'Allemagne)

Références Huet  ; RTE 

2023 année normale : Données RTE : Les émissions liées à la production d'électricité en France ont atteint 16,1 MtCO2eq en 2023, leur niveau le plus faible depuis le début des années 1950. L'intensité carbone de la production d'électricité française est également au plus bas : elle a été de 32 gCO2eq par kilowatt-heure produit sur l'année 2023. ref RTE 

Données EDF : En France, l'électricité produite par EDF est à 97,8 % sans émission de CO₂, grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables. En 2023, les émissions spécifiques de carbone d'EDF en France s'établissent à 11 g/kWh (contre 20 g/kWh en 2022), soit 23 fois moins que la moyenne européenne du secteur. ref  RTE 

Alors 1) même en 2022 , année difficile pour les émissions de CO2 pour la production d'électricité, le chiffre de référence de 72 g CO2e/ kWh utilisé par la cabinet Ouvert est incompréhensible ; 2) Il est particulièrement douteux d'utiliser 2022 comme référence sur l'ensemble de la vie du parc en raison de la baisse de la production nucléaire (problèmes de corrosion sous contraintes) durant cette année particulière ; en utilisant les chiffres 2023, cela revient à diviser par un facteur compris entre 2,5 et 7,5 les fameuses 93 135 tonnes de CO2 équivalent, économisées par an. (soit l'empreinte carbone annuelle de 3400 à 1100 Français)

Mais ce n'est pas tout

4) A quoi se substitue l'éolien lorsqu'il est en fonctionnement ?

Prendre une valeur moyenne des émissions de CO2 pour évaluer les émissions évitées par le parc le parc éolien de Saint-Nazaire, c'est se moquer du monde ! Car en réalité, il faut savoir, heure par heure, à quoi se substitue l'éolien lorsqu'il génère de l'électricité.

Or, l'éolien se substitue en grande partie au nucléaire qui module sa puissance sur les réseaux pour lui faire place. Ce fut particulièrement flagrant lors du week-end du 13 avril 2024, où EDF, pour maintenir l'équilibre entre offre et demande, a dû arrêter 5 réacteurs nucléaires du samedi matin au dimanche soir. Peu après, il était annoncé que la centrale nucléaire française de Cattenom en Moselle serait mise à l'arrêt pendant une période de cent jours. Jérôme Le-Saint, le directeur de la centrale de Cattenom, confirme à France 3 Lorraine jeudi 2 mai 2024 qu'"il n'y a aucune panne, aucune faille et aucune opération de maintenance. EDF nous demande de mettre les réacteurs en sommeil »

L'arrêt complet de réacteurs n'est pas sans poser d'ailleurs des problème sérieux de maintenance et de durabilité, comme l'expliquait Luc Rémont devant la Commission Sénatoriale Prix de l'Electricité (mercredi 10 avril 2024) : « La modulation du nucléaire pour le suivi des ENR ne pose pas de problèmes tant qu'on ne descend pas en-dessous de certaines limites (NB : 80%, deux fois par jour et pas trop souvent). Si l'arrêt complet devait devenir la règle, par contre cela devient réellement problématique et on rentre en territoire inconnu »

Mais l'essentiel est que lorsque le parc éolien de Saint-Nazaire se subtitue au nucléaire, il substitue une production émettant 18,3 g CO2 e/kWh à une production nucléaire émettant 4 g CO2 e/kWh-. Par conséquent, il ne diminue pas les émissions de gaz à effet de serre du système électrique, il les augmente !

Et ce n'est pas tout !

4) Quel est le back-up de l'éolien lorsqu'il ne produit pas ?

Lorsque l'éolien ne produit pas, son back-up n'est pas la production électrique moyenne. C'est notamment le cas en période de pointe de consommation hivernale ( alors que le parc de Saint-Nazaire est malencontreusement tombé en rade durant son premier hiver 2023-2024). Ce sont alors, comme en Angleterre, comme en Allemagne, des centrales au gaz ( voire au charbon) qu'il faut remettre en route. Du coup, la production électrique des 480 MW installés de Saint-Nazaire… doit être complétée par une production fortement émettrice en carbone (≃ 420gCO2/kW.h). Un système électrique éolien, c'est en fait un système électrique gazolien, et ses émission de gaz à effet de serre ne sont plus de 18,3 g CO2e/ kWh, mais d'environ 300 g CO2e/ kWh.

Des chiffres de référence pour estimer les économies en émission carbone de la zone industrielle éolienne de Saint- Nazaire grossièrement surestimés et contestables, la non prise en compte de ce à quoi l'éolien se substitue réellement et de la nécessité d'un back-up thermique en période de pointe et de production éolienne déficiente, cette étude n'est qu'une propagande insupportable qui nous prend pour des idiots, œuvre d'un cabinet dont on peut douter des réelles compétences et publiée sous la responsabilité d'EDF Energies Renouvelables !