Coût de l’éolien en Mer ou quand le ministre de l’Energie M.Ferracci enfume la représentation nationale !
Lors des débats (d'une demi-journée, sans votes) organisés à l'Assemblé Nationale et au Sénat début mai , M. le Ministre Ferracci a pris comme référence de coût de l'éolien posé l'attribution de Centre Manche-1 à 44,9 € / MWh, et pour l'éolien flottant, les attributions des parcs français en Bretagne sud et en Méditerranée à moins de 100 €/MWh. Dans les deux cas, ces choix sont délibérément trompeurs et sous-estiment grandement les vrais coûts, d'autant que le raccordement, les postes électriques et les adaptations de réseau, entre autres, ne sont pas compris- alors que c'est le cas à l'étranger. Pour les coûts de productions, le retour des expériences étrangères suggère plutôt un coût d'environ 100 €/MWh pour l'éolien posé et d'environ 240 €/MW.h pour le flottant.
1) Le « miracle » de Centre -Manche 1 à 44,9 € / MWh.
Le Parc Centre Manche 1 (1 GW à 32 km des côtes) a en effet été attribué en mars 2023 à EDF Renouvelables (et Maple Tower) au prix de 44,9 € / MWh.
La CRE s'est exprimé sur le sujet avec une prudence extrême : « Les prix bas sont une bonne nouvelle pour les finances publiques, sous réserve que cela soit soutenable pour les porteurs de projets… Dans le cas de l'appel d'offres Normandie, on a mobilisé une procédure dite « anormalement basse… Pour la suite, nous souhaitons avoir plus d'éléments d'analyse dans les cahiers des charges. On souhaite en effet augmenter les points de robustesse des offres, car on a constaté que plusieurs offres étaient risquées, pour des raisons différentes, techniques ou financières »
Les concurrents ont été plus expansifs : « On se tire une balle dans le pied au niveau de la France, de l'Europe, des développeurs et de la supply chain… Avec des prix aussi bas, dans le meilleur des cas, si le projet est faisable, c'est en étranglant la supply chain qui rencontre déjà d'énormes difficultés… Les trois grands turbiniers présents en Europe (Siemens-Gamesa, le danois Vestas et l'américain General Electric perdent beaucoup d'argent et c'est la même chose pour les installateurs en mer… Nous sommes dans une situation paradoxale où l'on risque de faire couler le navire alors qu'il y a un marché très porteur…EDF va devenir 100 % étatique et peut certainement avoir un raisonnement qu'on ne peut pas avoir. Peut-être qu'ils envisagent aussi de renégocier le prix ultérieurement ».
Encore plus direct, M. Pouyanné PDG de Total Energie s'adressait ainsi à, à M. Luc Rémont (PDG d'EDF) : « « Si tu fais un investissement, tu prends sans doute pas 50 euros le MWh comme hypothèse, mais sans doute beaucoup plus. On n'investit pas dans l'éolien offshore en Europe à 50 euros le MWh, ce n'est pas vrai ! ( La Tribune, 07/08/23) lien
On peut donc se demander si dans cette attribution de Centre Manche, EDF n'a pas servi de vache à lait pour l'éolien en mer, au détriment des Français pénalisés deux fois, en tant que contribuables et que consommateurs. (NB le Directeur d'd'EDF renouvelables a été incité à partir peu de temps après... )
2) Quelles références de prix pour l'éolien posé ?
Selon le rapport Wind energy in Europe: 2024 Statistics and the outlook for 2025-2030, 7,6 GW d'éolien en mer posés ont fait en 2024 l'objet d'attribution via des CFD bidirectionnels. Les capacités récemment attribuées au Royaume-Uni (3,4 GW) et en Norvège (1,5 GW) ont bénéficié d'un soutien pendant 15 ans avec un prix d'exercice moyen de 99,4 €/MWh »
Lors d'un premier appel d'offre en mer au Royaume Uni en 2024, aucun parc éolien offshore n'a été attribué. Lors d'une seconde session, le prix plafond pour l'éolien posé a été relevé de 66% à un niveau de 73 £/MWh (87 €/MWh) et les deux tiers d'éolien offshore proposés n'ont reçu aucune offre.
A titre indicatif le projet Empire Wind d'Equinor aux USA récemment ( avril 2025) annulé par Donald Trump pour cause de manque de prise en considération des impacts sur la pêche, des impacts sur l'environnement- et notamment l'impact cumulé, des retours d'expérience des travaux en cours et des droits des communautés autochtones. (lien ) comprenait 147 turbines à 15 miles de Long Island (New-York), pour une capacité totale de 810 MW et un coût total de 5 milliards de dollars. Il devait délivrer pendant 25 ans de l'électricité au tarif garanti de 155 dollars par MWh.(137,7€/MWh)
3) Quels coûts de rachat pour l'éolien flottant ? En ce qui concerne les parcs éoliens flottants, M. le Ministre Ferracci s'est appuyé sur les récentes attributions françaises : Bretagne sud (86,45 €/MWh, Pennavel, AO5), Golfe de Fos (85,90 €/MWh, EDF Ren, Maple Tower) et Eoliennes Flottantes d'Occitanie (92,7 €/MWh, EDP Renewables et Engie)
C'est ignorer les critiques de la CRE sur le processus d'attribution (dont la responsabilité appartient au ministère de l'énergie- la DGEC), et notamment 1) sur le manque d'efficacité du « sous-critère relatif à la robustesse du montage contractuel et financier ne permettant pas d'éliminer des montages financiers aventureux, voire fantaisistes. 2) sur le plan technique, avec une course risquée à la puissance des éoliennes - la CRE parle de développeurs « n'escomptant pas de freins technologiques pour poursuivre la montée en puissance des machines » et justifiant leur choix par « des études internes considérant que l'augmentation de la puissance et des dimensions des turbines se poursuivra linéairement sans limite technologique. » ; enfin, 3) sur les estimations de rentabilité (TRI, taux de retour sur investissement) des projets, pour lesquels « les candidats s'appuient sur un scenario d'évolution du prix de l'électricité pour la période post-contrat de complément qu'ils choisissent librement »
Et ceci qui laisse songeur : la CRE demande l'introduction d'un critère d'évaluation relatif à la qualité environnementale, qui est donc actuellement inexistant… Ce serait par exemple un bon moyen d'éliminer les anodes sacrificielles.
C'est aussi ignorer les réactions du lobby éolien à l'annonce de ces attributions étonnantes : « le prix de l'AO5 n'est pas une référence… c'est un choix technologique très risqué obligeant pratiquement à recourir à des turbines chinoises »
Les projets pilotes éoliens flottant en Méditerranée EolMed (Qair /Total Energies) et EFGL (Eoliennes flottantes du Golfe du Lion, Engie et EDP Renewables) ont été attribués en 2016 à 240€/MWh. En juin 2024, les porteurs de projets ont demandé à ce qu'il soit porté à 320 euros le MW.h, sans quoi les projets ne se feraient pas lien
Le projet pilote écossais Hywind Scotland (5 éoliennes de 6 MW à 29 km de Peterhead) bénéficie d'un tarif de rachat de 217 €/MWh. Il a connu de grosses difficultés en 2024 lorsque ses cinq turbines ont dû être remorquées dans leur port d'origine en Norvège pour une « maintenance lourde non programmée » de cinq mois. On a un peu de mal à croire à sa rentabilité.
En fait, la seule référence à l'échelle industrielle pour l'éolien flottant que nous ayons est celle de l'appel d'offre britannique de 2024 pour le projet Greenvolt de 560 MW (35 éoliennes) qui a obtenu un prix d'exercice de 236,3 €/MWh pour 400MW sur 15 ans : (NB : les projets au Royaume-Uni sont soutenus pendant 15 ans, en France c'est généralement 20 ans)
Et il vaut mieux garder en mémoire l'avertissement du représentant de Total Energie devant l'OPECST (2 février 2023) concernant spécifiquement l'éolien flottant : « Estimer les coûts de construction d'une filière qui n'est pas mature sur une période de 8 à dix ans revient à lire dans une boule de cristal » ! L'éolien offshore flottant est une industrie immature technologiquement et il faut s'attendre à ce que à ce que les prix varient encore considérablement
4) Il est indispensable d'obtenir une estimation des coûts totaux !
Aucune discussion sensée sur la PPE3 ne peut avoir lieu sans une estimation des coûts complets de l'éolien en mer tant posé que flottant.
Pour les projets français, les câbles, les sous-stations offshore et autres aménagements de raccordement sont pris en charge par l'Etat et c'est un cas unique en Europe et aux USA – la Suède y a récemment renoncé. Selon les chiffres officiels ( RTE, Ministère de l'Energie), le seul raccordement des zones éoliennes offshore coûteraient entre 35 et 40 milliards d'euros pour les 45 GW prévus. Le fondateur et premier PDG de RTE, André Merlin parle plutôt de 70 milliards en y ajoutant les travaux nécessaires du réseau terrestre ( Conférence de Presse, Sénat, 1er avril)
Les références étrangères comprennent les coûts de raccordement directs. Mais ils ne prennent pas en compte les inconvénients de productions non pilotables et fortement variables : coûts de gestion et de congestion de réseau (déjà de l'ordre de 5 milliards par ans en Angleterre), coûts de profils (production à perte lors des épisodes de surproduction éoliennes à prix négatifs, ou même en-dessous du coût de production), coûts de stockage, aménagement des ports… Auxquels il faudrait rajouter idéalement les coûts induits sur la pêche, la navigation commerciale, le nautisme, le tourisme….