Energies fatales intermittentes (Eolien en mer….) et « loop flows », les gros problèmes du système électrique européen

12/02/2025

Pour parvenir aux centres industriels du sud de l'Allemagne, l'électricité éolienne du nord et de la mer du Nord passe par les réseaux électriques des voisins- dont la France. Ces boucles de flux d'électricité (« flows ») non invités et non désirés posent de sérieux problèmes sur la sécurité d'alimentation en saturant les interconnexions. Ils sont à l'origine de surcoûts de congestion des réseaux et entrainent une divergence des prix entre différentes zones. La solution proposée par l'Europe (fragmentation des zones de prix pour refléter la réalité des échanges) revient à annuler l'un des seuls avantages du « marché » européen de l'électricité.

Ce cocktail redoutable qu'aura été d'une part, la promotion irresponsable des ENR Fatales Intermittentes, d'autre part l'ultra libéralisme de la Commission européenne inadapté à la production électrique auront fait, au moins partiellement, voler en éclat : 1) l'avantage qu' apportait le nucléaire et son réseau centralisé à la France ; 2) la mission de service public, notamment appuyée sur la péréquation tarifaire, du système électrique français ; 3) la baisse des prix et leur convergence dans toute l'Europe, buts premiers du marché Européen de l'électricité. Un plein succès !

Les loop flows, ces passagers clandestins de l'électricité allemande

L'implantation disséminée des énergies renouvelables électriques intermittentes (EnRi) implique de lourds investissements (plusieurs centaines de milliards d'euros) dans le réseau de distribution auquel ces EnRI sont majoritairement connectées.

En effet, les éoliennes et les panneaux photovoltaïques ne sont pas des énergies locales, contrairement aux déclarations de leurs promoteurs. Les 2/3 de leur production transitent par le réseau de transport qui doit adapter ses infrastructures pour répondre aux aléas et aux « bouffées » de productions de chaque zone suivant les conditions météorologiques

Or justement, le réseau allemand a un retard gigantesque, soit sept ans ou 6700 km sur ce qui devait être réalisé (cf graphe ci-joint) . La Cour Fédérale des Comptes chiffre à plus de 460 milliards d'euros (!) les investissements nécessaires au réseau allemand pour remédier aux problèmes causés par les ENR. (En France, le chiffrage est de 100 milliards d'euros pour RTE et 100 milliards d'euros pour Enedis pour intégrer les ENR)

Que se passe-t-il donc ? Pour parvenir aux centres industriels du sud de l'Allemagne, l'électricité éolienne du nord et de la mer du Nord…passe par les réseaux électriques des voisins- avec de graves inconvénients et de très gros risques.. Ces flux d'électricité (« flows ») non invités et non désirés, font donc une boucle clandestine (« loop »), par les réseaux voisins pour arriver à leur destination. cf « loop flows », ces passagers clandestins de l'électricité allemande (JP Riou lien 

Les loop flows menacent la sécurité d'alimentation dans les pays concernés

Ces loop flows proviennent donc des fortes productions des éoliennes du nord de l'Allemagne, (combinée avec celles de Scandinavie) que les congestions du réseau allemand font transiter par les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, l'Autriche, la Belgique et la France. Ces « passagers clandestins » peuvent mobiliser jusqu'à 50% de la capacité disponible, limitant d'autant les capacités d'importation de ces pays. Ce qui entraine un danger pour la sécurité d'alimentation : celle-ci est en effet partiellement garantie par les capacités d'interconnexions, d'autant plus vitales que la production ENR intermittente est importante. Or, plus la production ENR intermittente est importante, plus les loop flow augmentent en fréquence et en intensité.

Pour la sécurité d'alimentation, chaque État membre doit assurer 70% de ses capacités disponibles pour les échanges aux frontières. Les pays les plus touchés par les loop flow dans leur réseau ne peuvent remplir plus cette obligation et doivent faire des demandes de dérogation.

Dans son rapport de juin 2022, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) montre la corrélation systématique entre production éolienne allemande et baisse de la capacité d'import allant jusqu'à la moitié des capacités d'importation française en raison des loop flows.

Dès 2017, les autorités suisses (EICom, Commission fédérale de l'électricité suisse ) attiraient l'attention sur les risques liés à ces flux non planifiés responsables de la multiplication des violations des normes de sécurité (N-1). Ce rapport dénonçait la surcharge des transformateurs en pareil cas, et le « danger bien réel » d'un effet en cascade en cas de déclenchement des dispositifs de protection. Selon l'ElCom, c'est également la sécurité d'approvisionnement de la France et de l'Italie qui serait alors menacée car ces flux non planifiés diminuent les capacités d'importation des pays traversés.

Alors… les pays menacés se résignent parfois à refouler ces loop flow par l'installation de transformateurs déphaseurs, qui permettent d'empêcher ces flux indésirables de franchir les interconnexions frontalières. La Suisse s'en est équipée, ainsi que la Pologne et la République Tchèque (et peut-être d'autres depuis, cf. Riou lien ). Ce qui est loin de constituer une solution satisfaisante. Les loop flows restent un défi majeur pour l'intégration des ENR en Europe, nécessitant des améliorations techniques et réglementaires pour garantir un réseau stable et efficace.

Les loop flows sont aussi un problème économique : divergence des prix et fragmentation du marché

Ainsi, le 4 avril 2022, la France pulvérisait le record du marché à 2987,78 €/MWh entre 7 heures et 9 heures, en raison de la forte consommation liée au froid et de la faible disponibilité du parc nucléaire. Les interconnexions avec l'Allemagne, prévues pour éviter une telle divergence de cours grâce aux importations, n'ont pas pu jouer leur rôle en raison des loop flows allemands provoqués par une production éolienne particulièrement élevée.

Si la divergence de prix a été là exceptionnelle, le phénomène devient courant et la congestion des interconnexions provoque de fortes divergences de prix entre différentes zones, au rebours de l'objectif principal du prétendu « matché européen » de l'électricité : instaurer une « plaque de cuivre européenne ». C'est aussi l'une des raisons qui font que les pays nordiques refusent de plus en plus toute interconnexion avec l'Allemagne.

Ajoutons que, en 2015 déjà, France Stratégie relevait que les pays traversés n'étaient même pas rémunérés par l'Allemagne pour l'électricité qu'elle faisait transiter sur leurs lignes pour acheminer la production de ses éoliennes de l'Allemagne du Nord vers sa consommation par l'industrie d'Allemagne du Sud, en raison des congestions structurelles de son propre réseau.

C'est d'ailleurs ce qu'a réclamé récemment la France, en réponse à l'accroissement continu des loop flows. La DGEC a récemment demandé une participation financière des pays qui utilisent le réseau français pour y faire transiter leurs loop flows- une revendication reprise par d'autres voisins de l'Allemagne lien 

La fragmentation du marché, une solution… très très conflictuelle !

Pour éviter ou diminuer ces flux de boucle, l'ACER (l'Association des régulateurs européens) envisage deux ( ou plus) zones d'enchères distinctes en Allemagne. Les flux provenant des éoliennes d'Allemagne du Nord vers l'Allemagne du Sud ne pourraient plus être considérés comme transaction interne à une même zone d'enchères. Leur transit devrait être négocié, y compris par les réseaux voisins. Conséquence : le sud de l'Allemagne, gourmand en électricité et pauvre en éoliennes, devra payer un supplément pour l'énergie éolienne provenant du nord.

En fait, le réseau européen des gestionnaires de transport d'électricité Entso-E travaille depuis 2022 à un rapport sur le moyen de fragmenter les zones d'enchères pour le prix de l'électricité. 16 gestionnaires de réseau de 12 États membres de l'UE, de la France à la Slovénie en passant par la Pologne, formuleront une recommandation sur l'opportunité de scinder les marchés français et allemand, avant que les États membres de l'UE concernés ne donnent leur accord à l'unanimité, la décision finale revenant à la Commission européenne.

Les marchés de l'électricité en Europe sont censés refléter la capacité physique du réseau à transporter l'électricité. Dans les zones géographiques où l'électricité peut circuler librement, les règles de l'Union européenne (UE) prévoient un prix unique pour l'électricité. Contrairement à d'autres pays de l'UE, comme la Suède et l'Italie, où les prix de l'électricité varient selon les régions en fonction de la capacité du réseau, l'Allemagne et la France n'ont qu'un seul prix de l'électricité.

La publication de la recommandation sur la possibilité et la manière de diviser les marchés de l'électricité allemand et français, qui devait avoir lieu en janvier 2025 a été reportée en raison des vives controverses qu'elle provoque. La France, dont le système électrique est très centralisé, résiste à l'idée de diviser ses marchés de l'électricité.

Ainsi, en quelques années, ce cocktail redoutable qu'aura été d'une part, la promotion irresponsable des ENR Fatales Intermittentes, d'autre part l'ultra libéralisme de la Commission européenne inadapté à la production électrique d'autre part auront fait voler en éclat : 1) l'avantage qu' apportait le nucléaire et son réseau à la France ; 2) la mission de service public notamment appuyée sur la péréquation tarifaire du système électrique français ; 3) la convergence du système électrique européen ; Bravo!

NB : un grand merci à JP Riou pour son travail sur les loop flows, notamment ( et pas exclusivement), L'électricité clandestine allemande démasquée lien  et L'Europe sous tension lien