La « complémentarité » entre nucléaire et renouvelables est vraiment un problème !
Le lobby des ENR mobilise sur une nouvelle musique : il ne faut pas opposer nucléaire et ENR, les deux sont « complémentaires . En fait, non ! 1) Le suivi de charge des variations de la production ENR est techniquement problématique pour le nucléaire ; 2) Le suivi de charge des variations de la production ENR est économiquement problématique pour le nucléaire ; 3) La conciliation entre le nucléaire et les ENR est problématique pour la stabilité du réseau ; 4) La conciliation entre le nucléaire et les ENR est problématique pour la sécurité d'alimentation ; 5) Eolien en mer et centrales nucléaires : un voisinage dangereux. Ces problèmes ont notamment été discutés lors d'un colloque organisé au Sénat le 10 mars par le Cérémé et Patrimoine Nucléaire et climat lien . PIEBîEM était présent, et la problématique de l'éolien en mer et de Sud Bretagne a été abordée notamment par François Goulard
1) le lobby ENR : il ne faut pas opposer nucléaire et ENR, ils sont complémentaires
Après avoir échoué à convaincre de la possibilité d'un 100% ENR, le lobby des ENR mobilise sur une nouvelle musique : il ne faut pas opposer nucléaire et ENR. Particulièrement représentatif de ce tournant dans la propagande ENR, une tribune du Monde intitulée : il est temps de remiser l'opposition entre nucléaire et renouvelables pour se concentrer sur le vrai problème lien. Les auteurs « experts de différents think tanks » affirment : « Si les débats énergétiques des années 2010 et d'avant se sont concentrés sur les parts relatives du nucléaire et des renouvelables dans le mix électrique, les plaçant ainsi de facto en concurrence, il est temps de remiser cette opposition artificielle et obsolète ».
Eh bien non : l'opposition entre nucléaire n'est ni artificielle, ni obsolète mais au contraire de plus en plus réelle et actuelle avec l'augmentation du pourcentage d'Energies Fatales Intermittentes (EFI) dans le mix électrique. Ceci a notamment été discuté lors d'un colloque organisé au Sénat le 10 mars par le Cérémé et Patrimoine Nucléaire et climat lien
2) Le suivi de charge des variations de la production ENR est techniquement problématique pour le nucléaire
Le mercredi 10 avril 2024, le PDG d'EDF Luc Rémont déclarait devant la Commission d'Enquête Sénatoriale sur le Prix de l'électricité que la modulation du nucléaire pour le suivi des ENR ne pose pas de problèmes tant qu'on ne descend pas en-dessous de certaines limites (80%, deux fois par jour et pas trop souvent). Si l'arrêt complet devait devenir la règle, précisait-il, cela devient réellement problématique et on "rentre en territoire inconnu ». Quatre jours plus tard (13-14 Avril), EDF a dû arrêter cinq réacteurs nucléaires en raison d'une forte production ENR et d'une demande faible. Et ceci n' a cessé de se répéter depuis. Nous sommes donc déjà en territoire inconnu et ça ne va pas s'arranger en passant de 0,5 GW d'éolien offshore à 45 GW.
Malgré tous les dénis antérieurs, notamment de responsables d'EDF, l'Autorité de Sureté Nucléaire admet aujourd'hui que la modulation du nucléaire pour le suivi de charge des Energies Fatales Intermittentes a des effets techniques indésirables. La modulation fréquente et intense du nucléaire pour suivi de charge a des effets sur la durée de vie des centrales- et le nucléaire historique est l'un de nos principaux atouts économiques. Elle pourrait être aussi l'un des facteurs explicatifs de la crise dite des corrosions sous contraintes qui avait mis à l'arrêt la moitié des réacteurs français en 2022 cf Les Echos. Selon Olivier Dubois, commissaire de l'ASNR, les variations de puissance nécessitent des apports d'eau dans le circuit, ce qui peut entrainer des problèmes d'oxygénation. Bien que ce facteur ne soit pas encore reconnu comme la cause principale de la corrosion sous contrainte, il fait partie des hypothèses étudiées.
3) Le suivi de charge des variations de la production ENR est économiquement problématique pour le nucléaire
Alors que le prix de l'électricité joue un rôle critique dans la compétitivité de nos industries et la réindustrialisation, la « conciliation » des Energies Fatales Intermittentes et du nucléaire pose un redoutable problème économique en renchérissant le coût de l'électricité. Le caractère fatal (non corrélé à la demande) de la production ENR en Europe multiplie les épisodes de surproduction à prix négatif (10% du temps lors du second trimestre 2024) (NB c'est en réalité la valeur de l'électricité générée qui est nulle, puisqu'est produite une électricité dont personne ne veut et qui ne peut être stockée). Cela correspond à une production à perte qui doit être compensée et augmente le coût de l'électricité. Ainsi s'enclenche un cercle vicieux : déséquilibre production/demande, augmentation des coûts, baisse de la demande augmentant encore la fréquence des épisodes à prix négatifs. C'est le cercle fatal de la désindustrialisation du pays, d'un prix de l'énergie insupportable économiquement et socialement, de l'appauvrissement.
Aujourd'hui, c''est le nucléaire qui prend ainsi à sa charge via la modulation la plus grande part des externalités négatives des énergies fatales intermittentes en écrêtant, voire en arrêtant sa production. Les coûts du nucléaire étant essentiellement fixes, c'est une perte sèche. RTE et la CRE ont demandé à ce que les énergies intermittentes sous contrat d'achat soient obligées d'écrêter, voire d'arrêter leur production en cas de surproduction. L'Etat semble décidé à agir via un amendement du projet de loi de finance 2025 qui suscite une forte opposition du lobby éolien. Les producteurs éoliens demandent une forte compensation ; PIEBÎEM fait remarquer que, dans la plupart des pays européens, ce dispositif est appliqué sans aucune indemnisation des ENR, qui, ce qui est bien normal, prennent les externalités négatives à leur charge. cf notre fil d'actu lien
4) La compatibilité entre le nucléaire et les ENR est problématique pour la stabilité du réseau
L'impossible conciliation entre nucléaire et Energies Fatales Intermittentes, au-delà d'un certain seuil, pose aussi de redoutables problèmes de stabilité du réseau.. La raison fondamentale en est que ni les Energies Fatales Intermittentes (ni d'ailleurs les interconnexions) ne fournissent au système électrique une grandeur essentielle à sa stabilité et à son redémarrage en cas de problèmes : l'inertie, qui est donnée par les machines tournantes des centrales nucléaires et thermiques. Dans les systèmes anglais et nordiques, les déviations de fréquences en dehors des normes deviennent la norme et des phénomènes inquiétants se produisent.
Ainsi, le rapport 2023 de l'Inspecteur Général pour la Sûreté Nucléaire et la Radioprotection d'EDF mentionne une série d'incidents dus à l'interaction entre un parc éolien offshore en Angleterre et une centrale nucléaire proche ayant d'abord conduit à un arrêt non programmé du réacteur et par la suite à un fonctionnement perturbé. Le voisinage de l'éolien en mer et de centrales nucléaires est dangereux, à plus d'un titre ! ( cf ci- après)
5) La complémentarité entre le nucléaire et les ENR est problématique pour la sécurité d'alimentation
La conciliation entre Energies Fatales intermittentes et nucléaire est également problématique pour la sécurité d'alimentation - d'abord pour une raison simple : les EFI ne fournissent aucune garantie de puissance lors des pointes de demande. Mais de façon plus sournoise, la modulation du nucléaire pour suivi de charge perturbe le très délicat algorithme qui règle la gestion en combustible des centrales nucléaires et le calendrier des arrêts de tranche (changements de combustible). Lorsque des responsables de RTE affirment qu'EDF modulait auparavant pour gérer son combustible et qu'il modulera désormais pour suivre les variations des EFI, on a le choix entre le cynisme et l'inconscience. Car si la délicate organisation des arrêts de tranche est sacrifiée, c'est la sécurité d'alimentation qui se trouvera compromise.
6) Eolien en mer et centrales nucléaires : un voisinage dangereux
La question a été posée par l'association Scopa (Sauvegarde des Côtes d'Opale.)lien et par Catherine Boutin, de l'association PULSE (Pour un Littoral sans Eoliennes) lien : à 15 km du site nucléaire de Penly appelé à devenir la centrale nucléaire la plus grande d'Europe avec l'arrivée des 2 EPR, la zone éolienne industrielle du Tréport (à la propriété fluctuant entre Portugais, Espagnols Chinois, Japonais) occupe une superficie équivalente à celle de Paris. Les éoliennes du parc, très proches, perturbent toute détection et masquent de potentielles intrusions hostiles, sur mer, sous mer et par les airs. En fait, la défense de la centrale nucléaire de Penly s'en trouve très fragilisée : il semble que la question n'ait pas été posée à la défense nationale. Rappelons que la Suède a fait annuler 13 parcs éoliens en Baltique pour des questions de sécurité nationale (entrave à la détection de menaces aériennes, marines et sous- marines). lien
Alors oui, il est temps que soit posé sans mensonges ni tabous l'ensemble des problèmes que posent la conciliation entre production fatale intermittente et base nucléaire pilotable. Et qu'il ne soit tenu compte dans la future Programmation Pluriannuelle de l'Energie.