Les coraux des mers froides, un très gros enjeu pour la zone éolienne industrielle Bretagne sud
Les porteurs du projet de zone éolienne industrielle Bretagne sud s'étaient inquiété lors de l'appel d'offre de la présence de coraux des mers froides sur la zone prévue. L'étude de l'environnement initial, obligation légale à leur charge, a révélé la présence de densités importantes de coraux des mers froides, et la présence d'agrégations originales de coraux et d'huîtres formant des structures complexes et originales. Ces quasi-jardins de coraux, qui sont les premières agrégations de ce type documentées à l'échelle de la façade manche-atlantique française constituent des Écosystèmes Marins Vulnérables qui seraient fortement et irrémédiablement agressés par la construction et le fonctionnement (frottement des câbles et ancrages) des éoliennes flottantes. Un milieu naturel d'un telle originalité, beauté et fragilité justifierait un classement en Zone Natura 2000 ou même zone de protection forte- y placer une zone industrielle flottante est un crime contre la nature. SETEC environnement, le bureau d'étude choisi par les porteurs de projets l'avoue : la présence de ces coraux « représente un enjeu majeur à considérer dans le cadre du projet. » « Nous ne gagnerons pas cette course contre la montre pour enrayer le changement climatique si nous sacrifions la biodiversité au passage… Ce qui s'amorce avec la multitude de projets industriels en mer en France et ailleurs, est un crime contre la nature et contre les générations futures » Sea-Shepherd). Il faut arrêter Bretagne sud.
Un problème connu dès le départ et négligé : les coraux des mers froides sont bien là, et en abondance !
En août 2023, la CRE (Commission de régulation de l'Energie), publiait ses réponses aux questions des candidats à l'appel d'offre de AO5. Sur le plan environnemental (et PIEBîEM l'avait alors mentionné dans un CP ), un sujet les préoccupait, la présence sur la zone de coraux des mers froides qui risquerait de leur interdire d'installer des éoliennes aux endroits concernés. Eh bien, ils avaient raison de s'inquiéter, car, dans le cadre légal de la caractérisation de l'état initial de l'environnement, SETEC, mandaté par les porteurs de projets fait mieux que justifier leur peur…
L'état initial de la zone des projets de parcs éoliens flottants de Bretagne Sud, qui mesure 233 km2, et de ses alentours, a été réalisé durant 3 ans par SETEC Energie Environnement sur 10 compartiments, soient biologiques ou physiques. L'un des rapports les plus intéressants est le rapport Habitats et peuplements benthiques. lien
Une agression particulière de l'éolien flottant sur les sols marins
SETEC commence par rappeler la problématique très spéciale de l'éolien flottant concernant les sols marins
« Selon le système d'ancrage utilisé, les câbles d'amarrage peuvent également provoquer une modification temporaire de l'habitat mais qui peut se produire de temps en temps. Par exemple, les lignes d'amarrage en caténaire (le type d'amarrage le plus utilisé) sont conçues pour être quatre fois plus longues que la profondeur de la colonne d'eau afin de tenir compte de l'action des vagues (Maxwell et al., 2022). Une proportion significative de la chaîne repose donc sur le fond marin et peut être soulevée et abaissée par l'action des vagues, provoquant une abrasion des sédiments, de superficielle à profonde, en fonction de la fréquence et de l'amplitude des mouvements de la chaîne. »
Cette agression des fonds marins par l'éolien flottant est également bien mentionnée dans la publication de LLoret sur le sujet :lien
« Le mouvement de la plate-forme flottante, induit par le vent et les vagues, crée une empreinte d'amarrage, où la ligne d'amarrage se déplace continuellement sur le fond marin, endommageant les habitats de fond et les espèces associées et produisant une remise en suspension des sédiments qui peut affecter les habitats voisins… Les habitats sensibles formés par des espèces vulnérables à faible croissance, tels que les récifs coralliens d'eau profonde, les lits de maërl et les affleurements rocheux, risquent d'être perturbés par cette interaction d'amarrage continue. Les dommages causés à l'habitat de fond sont considérés comme d'une étendue temporelle permanente en raison de la période de rétablissement prolongée requise pour les zones de fond marin touchées, qui peuvent prendre des décennies ou plus pour revenir à leur état initial d'avant l'exposition. »
Les premiers agrégats de coraux des mers froides documentés sur la façade maritime, un habitat rare et vulnérable et un « enjeu majeur pour le projet de zone éolienne Bretagne sud »
Setec semble lui-même surpris de ce qu'il a découvert et de ce qu'il qualifie de belles découvertes
« De belles découvertes : les investigations ont permis de détecter des zones abritant des densités importantes de coraux d'eau froide (Antipathella subpinata et Dendrophyllia cornigera) ainsi que des récifs biogéniques constitués par des huîtres profondes. Outre ces habitats, les transects réalisés ont aussi permis de détecter la présence de l'éponge carnivore Lycopodina hypogea, de Pennatula phosphorea et Virgularia mirabilis »…
La présence d'agrégations de coraux profonds (Dendrophyllia cornigera), notamment sur les transects TD29, TD30 et TD31, est soulignée comme potentiellement constituant les premières agrégations documentées à l'échelle de la façade Manche-Atlantique française… Ces agrégations de coraux profonds constitueraient les premières agrégations documentées à l'échelle de la façade manche-atlantique française. À ce titre et avec l'appui des données collectées, une évaluation du statut de cet assemblage vis-à-vis de la notion d'Écosystèmes Marins Vulnérables (VME) serait nécessaire. En effet, les espèces recensées répondent à plusieurs des critères définis par la FAO dont le caractère unique ou de rareté, l'importance fonctionnelle de l'habitat, la fragilité, les caractéristiques du cycle biologique »
Les agrégats de coraux des mers froides que Setec a identifié sur la zone Bretagne Sud sont donc uniques par leur caractère et leur rareté et forment un Ecosystème Marin Vulnérable.
« En raison de sa faible représentation connue au sein de la façade Manche-Atlantique et de la sensibilité des espèces caractéristiques (comme le corail jaune et corail noir) qui le composent, l'habitat D1-2.1 - Roches ou blocs circalittoraux du large à Dendrophyllia cornigera - Smittina cervicornis et/ou Antipathella subpinnata représente un enjeu majeur à considérer dans le cadre du projet »… « on peut dès à présent considérer que les zones abritant ces assemblages devront faire l'objet de dispositions particulières pour en assurer le maintien lors des différentes phases du projet »
Des espèces protégées et très fragiles quant aux perturbations
Le corail noir A. subpinnata et le corail jaune D. cornigera sont inscrits en annexe III de la convention de Barcelone (Convention pour la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée). L'évaluation de son statut en Méditerranée par l'IUCN a abouti à son classement dans la catégorie quasi menacé et sa population est considérée en déclin.
Le corail jaune Dendrophyllia cornigera est rare et classé par l'UICN en danger . Le squelette est recouvert d'une peau jaune d'or, le coenosarc. Les rameaux de la colonie, dont le diamètre est de 12 à 15 cm, forment des massifs de 30 à 40 cm de haut.
Le Corail noir Antipathella subpinnata est en fait blanc et seulement 5 espèces sont connues, rares et localisées. Il forme de grandes colonies arborescentes atteignant 2 mètres de haut. Il s'agit d'un Ecosystème marine vulnérable, L'évaluation de son statut en Méditerranée par l'IUCN a abouti à son classement dans la catégorie quasi menacé et sa population est considérée en déclin.
Smittina cervicornis (Corne de cerfs) est rare, sur liste rouge en France en voie de protection. Il se trouve sur les fonds rocheux, a la particularité de vivre en association (mutualisme) avec une éponge transparente, Halisarca harmelini, qui les recouvre. Sur liste rouge en France.
En tant qu'organisme filtreur, le corail noir peut être considéré comme sensible à la remise en suspension du sédiment répétée qui perturberait l'alimentation de l'organisme. De plus, la résilience de l'espèce peut être considérée comme faible au regard de sa croissance lente. Le corail jaune présente à priori une sensibilité aux mêmes types de pressions que le corail noir, avec néanmoins une plus forte sensibilité aux perturbations physiques du fait de son squelette calcifié rigide. À titre d'exemple, le réflexe de rétractation des polypes engendré par la remise en suspension du sédiment par le ROV a pu être observé. La répétition de ce type de perturbation mettrait probablement les individus en péril en limitant leur possibilité de se nourrir.
Donc, nul doute que les dégâts engendrés par les travaux de la zones éoliennes ou les agressions des câbles flottants menacent sérieusement ces coraux.
Écosystèmes Marins Vulnérables ou jardins de coraux ?
Eux-mêmes étonnés par leurs découvertes, Setec demande une expertise sur le statut à reconnaitre à ces édifices de coraux de Bretagne sud et penchent pour une reconnaissance Écosystèmes Marins Vulnérables ( définis par l'ONU( résolution 61/105) ) et la FAO
« Dans le cadre de l'état initial de l'environnement réalisé pour la zone de l'AO5, des associations de plusieurs taxa appartenant aux habitats des jardins de coraux du bathyal (Antipathaires, Scléractiniaires et gorgones) ont été recensées avec des densités intéressantes. Si à l'heure actuelle, les enjeux de protections sont plutôt orientés sur les jardins de coraux du bathyal, il n'en reste pas moins que les espèces recensées remplissent un certain nombre de critères de définition des Écosystèmes Marins Vulnérables (VME) rappelés dans les documents d'expertise de l'Ifremer d'après la définition de la FAO… (caractère unique ou rareté, importance fonctionnelle de l'habitat, fragilité, caractéristiques du cycle biologique des espèces, complexité structurelle). »
Les extraordinaires coraux de Bretagne sud pourraient donc même être classés dans une catégorie plus protectrice, celle des » jardins de coraux » définis par la convention OSPAR ( Oslo/Paris- Convention pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est) : assemblages notamment constitués d'antipathaires, de gorgones et de scléractiniaires coloniaux sur des substrats durs ou meubles… Les jardins de coraux sont considérés comme menacés partout où ils sont présents, en particulier en raison des pressions de l'activité de pêche en eaux profondes, et, dans le cadre des travaux OSPAR, cet habitat est également recensé dans des eaux peu profondes. Setec pense toutefois qu'à l'heure actuelle, il semblerait donc que l'habitat « jardin de coraux » ciblé par la convention OSPAR… ne s'applique pas aux communautés du circalittoral du large. Le terme de jardins de coraux est généralement associé aux fonds importants. Cependant, ces communautés restant à l'heure actuelle encore peu décrites, les connaissances sont très probablement encore lacunaires. Mais il n'en exclut pas la possibilité : l'avènement de l'utilisation de ROV (robots sous- marins et l'exploration des milieux rocheux semi-profonds du plateau continental (50-200m) permettront certainement à l'avenir d'apporter de nouvelles connaissances sur ces milieux, comme ces observations d'associations A. subpinnata et D. cornigera en densité remarquable pour la façade atlantique.
Autres organismes rares présent sur les sols océaniques de la zone Bretagne sud
La présence d'huîtres Neopycnodonthe cochlear a été relevée sur plus de 85% des transects… Dans certains cas, les différentes générations d'huîtres se superposent et forment alors des récifs biogéniques servent de support à d'autres espèces et en particulier à l'anémone coloniale Parazoanthus anguicomus, des ascidies solitaires ou coloniales (Diazona violacea) ou le corail jaune Dendrophyllia cornigera. Ces structures peuvent créer des tapis épais, des arches ou encore des nodules de plusieurs dizaines de centimètres de diamètre.
Ces quasi-jardins de coraux, qui sont les premières agrégations de ce type documentées à l'échelle de la façade manche-atlantique française constituent des Écosystèmes Marins Vulnérables qui seraient fortement et irrémédiablement agressés par la construction et le fonctionnement (frottement des câbles et ancrages) des éoliennes flottantes. c_e serait une perte
Notre note en PJ, SETEC : Parc éolien au large de la Bretagne Sud (AO5) – état actuel de l'environnement lien