Rapport de la CRE sur l’attribution de AO5 : De très sérieux doutes sur la faisabilité de Bretagne Sud !

28/05/2024

Le moins qu'on puisse conclure de ce rapport assez fouillé est que dans le style particulier de la CRE, il confirme nos très sérieux doutes quant à la faisabilité économique et technique de ce projet dont le coût est évalué, entre 800.000 et un milliard d'euros et qui proposerait de l'éolien flottant à 86,45 €/MWh. Avec une sélection pour le moins curieuse : l'allemand BayWa r.e et le belge Elicio.

1) Pas un appel d'offre, mais une débandade !

Dix candidats étaient sélectionnés le 29 juillet 2021 pour participer au dialogue concurrentiel. Au vu de l'appel d'offre, 4 consortium comprenant des acteurs majeurs de l'éolien en mer ont jeté l'éponge : Vattenfall, Total Energies Renouvelables. 6 candidats ont déposé une offre : Elicio/Baywa r.e, EDF renouvelable, Equinor, Engie/EDP, RWE, Valeco/Shell.

La CRE a donc jugé 6 dossiers et sélectionné un candidat qui s'est désisté en refusant de déposer un dossier de garantie. Selon Loïg Chesnais-Girard Président de la Région Bretagne (déclaration à energiesdelamer ), ce seraient même deux lauréats choisis qui n'ont pas été en mesure de répondre aux garanties bancaires qui avaient été demandées ». (Equinor et Ocean Wind selon GreenUnivers).

Ce n'est donc pas le candidat sélectionné par la CRE qui a été choisi et ce choix est surprenant ! Le lauréat résiduel (le consortium Bayware-Elicio) n'a encore construit aucun parc éolien en mer, posé ou flottant, contrairement à cesdeux compétiteurs plus expérimenté et n'a aucune expérience d'exploitation… Sa seule réalisation pour l'instant est d'avoir gagné des appels d'offre (notamment Floatting Energy Allyance en Ecosse) sur des promesses assez étonnantes

2) Choix techniques du projet : des développeurs « n'escomptant pas de freins technologiques »

Le lauréat doit construire un projet demeurant conforme à l'engagement qu'il a pris sur le nombre maximal d'aérogénérateurs installé. Le lauréat peut modifier à la baisse ou à la hausse la puissance totale de son installation dans une limite de 10% de la valeur figurant dans son offre et en conformité avec les bornes inférieures (230 MW) et supérieures (270 MW) de puissance installée totale.

Bayware-Elicio a prévu d'installer 13 turbines de 23,3 MW, de hauteur du moyeu de 175-m et diamètre du rotor de 189 m, soit une hauteur totale de 320 m. L'application du critère conduit dans son cas à l'obligation d'installer des aérogénérateurs d'une puissance unitaire d'au moins 18,7 MW.

Sur ce choix, la CRE exprime quelques doutes et parle de développeurs « n'escomptant pas de freins technologiques pour poursuivre la montée en puissance des machines » et justifiant leur choix par « des études internes considérant que l'augmentation de la puissance et des dimensions des turbines se poursuivra linéairement sans limite technologique. »

Quatre candidats sur six prévoyaient d'utiliser des flotteurs semi-submersibles en acier, un candidat prévoit d'utiliser un flotteur de type « barge » en béton et Bayware-Elicio est le seul à proposer des flotteur semi-submersible en béton.

Pour l'ancrage, cinq candidats sur six s'appuient sur des pieux forés cimentés, dont le nombre peut varier entre 20 et 44. Bayware-Elicio se distingue encore /par le choix d'un système d'ancres à enfouissement.

Les candidats évaluent ainsi un facteur de charge net compris entre 40,9 % et 46,8 % pendant la durée du contrat de soutien de 20 ans (en intégrant dans la puissance globale installée de chaque parc les éventuels régimes d'augmentation de puissance lorsqu'ils sont explicitement mentionnés.

Tous les candidats prévoient une durée de vie du parc qui excède la durée de 20 ans du contrat de complément de rémunération : 30 ans pour un candidat, 32 ans pour un autre candidat, 34 ans pour un troisième et autour de 35 ans pour les trois autres candidats. Cette durée est cohérente avec la durée de la convention d'occupation du domaine public maritime du projet (40 ans à compter de sa délivrance).

3) Forte dispersion des offres, une filière non mature, des paris technologiques incertains, des trajectoires ambitieuses et incertaines de baisse des coûts

Pour la CRE, « l'analyse des offres déposées témoigne d'une filière prometteuse, mais pas encore totalement mature »

La CRE note que « la dispersion des prix des offres est particulièrement marquée dans le cadre de la présente procédure »- la moyenne des tarifs de référence des six offres déposées s'établit à 101,74 €/MWh ( Bayware-Elicio 86,45 €/MWh). La CRE explique que cette plus grande dispersion – ainsi que le niveau en moyenne plus élevé des tarifs de référence proposés – est liée, du moins en partie, à la technologie de l'éolien en mer flottant mobilisée dans le cadre de l'AO5.

Cette dispersion du prix des offres résulte également d'« hypothèses hétérogènes en matière de développements technologiques et de baisse des coûts ».

Ainsi, « la mise en service du parc est prévue par cinq candidats au second semestre 2030, moins de 9 mois après la mise à disposition prévisionnelle du raccordement. Un candidat prévoit une mise en service plus tardive, en juillet 2031, en considérant que le délai de mise en service de l'installation sera repoussé d'un an en raison de recours. »

« Ces délais importants conduisent les candidats, au même titre que dans le cadre de la procédure AO4, d'une part, à effectuer dans leurs offres des paris technologiques et à intégrer ainsi des hypothèses incertaines quant aux innovations qui seront disponibles et, d'autre part, à considérer des trajectoires ambitieuses de baisse des coûts, également incertaines. Ce constat est exacerbé s'agissant du premier appel d'offres commercial pour la technologie éolienne flottante, moins mature que la technologie éolienne posée employée dans les précédents appels d'offres éolien en mer. »

Ainsi : - s'agissant des coûts d'investissement rapportés à la puissance installée (€/MW), les plus compétitifs proposés parmi les offres de la procédure AO5 sont inférieurs de 32% par rapport aux moins compétitifs ; -les coûts d'exploitation et maintenance annuels rapportés à la puissance installée (€/MW/an), les plus compétitifs sont plus faibles de 45% par rapport aux plus élevés. NB : Les coûts d'investissement estimés par les candidats sont en moyenne de 3,5 M€2023/MW (valeur en euros constants), correspondant en moyenne à un investissement total de 936 M€/avril 2023 pour ce projet. Les candidats anticipent que le coût de fourniture et d'installation des aérogénérateurs représente environ 32% de l'ensemble des coûts d'investissement totaux du projet et que le coût de fourniture des flotteurs et ancrages représente de l'ordre de 33% des coûts d'investissement totaux du projet.

Les coûts d'exploitation et de maintenance (hors taxes auxquelles sont assujetties les installations éoliennes en mer) indiqués par les candidats pour construire leurs offres sont en moyenne de 61 k€2023/MW/an (valeur en euros constants) pendant la durée du contrat de soutien.

4) Les doutes de la CRE : tarifs de référence sous-évalués, des hypothèses optimistes qui exposeraient les projets à des risques notables.

Si la grande amplitude des tarifs de référence proposés est relativement cohérente avec le degré de maturité de la filière considérée, la CRE a observé, dans le cadre de son analyse, que « deux candidats ont intégré des hypothèses optimistes qui exposeraient les projets à des risques notables si elles s'avéraient erronées »

La CRE a donc ouvert deux procédures relatives aux offres susceptibles de comporter un tarif de référence sous-évalués », notamment contre le consortium Bayware-Elicio. Pour ce consortium en particulier, la CRE craignait que le TRI (Taux de Retour sur Investissement) actionnaires se révèle dégradé au point d'empêcher finalement la construction. La CRE mettait en cause les montants des coûts d'investissement (en lien également avec les choix technologiques opérés), les coûts d'exploitation et de maintenance, ainsi que le niveau de rémunération de l'énergie produite à l'issue du contrat de complément de rémunération et jusqu'à la fin de la durée d'exploitation du parc

La CRE a bien considéré ainsi qu'il existe « un risque que le Taux de Retour sur Investissement actionnaires estimé au moment de la décision finale d'investissement soit dégradé dans une certaine proportion mais que le projet du candidat, fait apparaitre des marges de flexibilité lui permettant de faire face à la survenance des principaux risques identifiés. »

En conséquence, l'analyse par la CRE des éléments fournis par le candidat ne permet pas de conclure que les risques pesant sur le projet, s'ils se matérialisaient, seraient de nature à remettre en cause la décision d'investissement et donc la bonne exécution du projet. En conséquence, la CRE n'a pas éliminé les offres pour lesquelles une procédure pour tarif de référence sous-évalué a été ouverte

5) Et finalement : la CRE doute et appelle à une appréciation renforcée de la robustesse des offres

Visiblement, la CRE a quand même de si sérieux doutes sur son évaluation qu'elle termine par une recommandation sur laquelle elle insiste lourdement : « L'instruction réalisée par la CRE dans le cadre du présent dialogue concurrentiel l'amène à formuler une recommandation essentielle pour les futures procédures de mise en concurrence portant sur des projets d'éoliennes en mer : Renforcer l'analyse de la solidité des offres en augmentant notamment le nombre de points alloués au sous-critère relatif à la robustesse du montage contractuel et financier et en ajustant la formule du sous-critère relatif à la valeur du tarif de référence.

La CRE considère en effet que les éléments apportés par certains candidats ne permettaient pas d'étayer suffisamment l'ensemble des hypothèses relatives à la puissance unitaire des aérogénérateurs prévus ainsi que des coûts d'investissement ou d'exploitation et maintenance et met en cause « l'efficacité du sous-critère relatif à la robustesse du montage contractuel et financier » qui « demeure limitée par une trop faible pondération et un périmètre d'analyse trop restreint ».

Elle recommande donc par la suite d'augmenter la pondération du sous-critère relatif à la robustesse du montage contractuel et financier à 10 points (au lieu de 5) et d'en faire un critère plus strict d'élimination : toute offre présentant une notation de sa robustesse du montage contractuel et financier strictement inférieure à 3 points sur 5 devrait être éliminée.

La CRE recommande aussi d'élargir le périmètre d'analyse couvert par le sous-critère relatif à la robustesse du montage contractuel et financier et considère que le sous-critère relatif à la robustesse du montage contractuel et financier n'est, dans tous les cas, pas suffisant pour traiter le cas d'hypothèses trop favorables retenues par les candidats sur la période post-contrat de soutien.

« L'instruction de la présente procédure a en effet montré des disparités dans l'appréciation par les candidats de facteurs externes à l'offre, notamment en particulier s'agissant des hypothèses de revenus post-contrat de soutien (ventes d'énergie et, dans une moindre mesure, ventes de garanties de capacité et d'origine). Cela implique donc des prises de risque variés des candidats vis-à-vis de ces hypothèses.

L'instruction démontre que ces revenus ont un impact important sur la rentabilité des projets. Or, leur estimation se fonde sur des hypothèses de prix de gros à un horizon très lointain (30 à 40 ans), qui sont par nature très incertaines. Des hypothèses trop favorables amènent à afficher une rentabilité globale artificiellement élevée, compliquant l'analyse de la solidité du projet

Pour éviter ces projections trop favorables et déraisonnables sur l'évolution des prix de l'électricité, la CRE préconise de « définir, en amont de la phase d'instruction, un intervalle de conformité qui serait défini dans le cahier des charges et ainsi communiqué aux candidats… Cet intervalle, qui pourrait, par exemple, prendre la forme d'un bandeau de plus ou moins 20% autour d'un scénario central, serait suffisamment large pour permettre aux candidats de construire leurs offres sur un jeu d'hypothèses propres. »

6) Autres engagements : Tous les candidats se sont engagés sur un montant total de 20 M€ à allouer aux mesures « ERC » et au suivi environnemental du Projet, hors Démantèlement, ainsi qu'au Fonds Biodiversité.

Tous les candidats se sont engagés sur un taux minimal de recyclage ou de réutilisation des pales de 100% (NB mais aucun engagement sur le fait de ne pas utiliser du balsa)

Pour PIEBÎEM, une conclusion s'impose : il est encore temps d'arrêter les frais et d'abandonner ce projet Bretagne-Sud, doublement absurde, cumulant les inconvénients de l'éolien posé (proximité des côtes) et de l'éolien flottant (coût extravagant, absence de maturité technologique)

Rapports  ci-joint téléchargeables et lien sur le site de la CRE lien1 lien2

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