RIIPM (Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur) et dérogations espèces protégées : le Conseil Constitutionnel peut changer la donne.
Avec les lois accélération du renouvelable et industrie verte, les lobbys des renouvelables ont obtenu une simplification de la délivrance des dérogations espèces protégées (un point critique pour les parcs éolien en mer- 59 dérogations pour Saint-Brieuc, 31 pour Dunkerque). Ce mécanisme destiné à limiter la contestation devant le juge administratif de l'autorisation « dérogation espèces protégées pourrait être remis en cause par un arrêt du Conseil Constitutionnel, consulté à la demande du Conseil d'Etat- il redeviendrait alors possible de contester la RIIPM à l'occasion de recours contre l'Autorisation Environnementale. Cette consultation été obtenue par les opposants à la mine de lithium d'Imérys- décision du Conseil Constitutionnel attendue le 7 mars, l'une des dernières de la présidence Fabius. Elle pourrait changer la donne, y compris pour l'éolien en mer !
Le code de l'environnement et les dérogations espèces protégées
L'article L. 411-1 du code de l'environnement comporte un ensemble d'interdictions visant à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales présentant un intérêt scientifique particulier, un rôle essentiel dans l'écosystème ou dans la préservation du patrimoine naturel. Sont notamment interdits en vertu du 3° du I du même article : " La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ". ( ce que font précisément les zones industrielles éoliennes en mer)
Toutefois, le 4° du I de l'article L. 411-2 du même code permet à l'autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant 1) à l'absence de solution alternative satisfaisante, 2) à la condition de ne pas nuire " au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle " et, enfin, 3) à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs qu'il énumère limitativement, dont celui énoncé au c) qui mentionne " l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ", " d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique " et " les motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ".
C'est l'origine des dérogations espèces protégées dont ont largement bénéficié par exemple les zones industrielles éoliennes de Saint-Brieuc (59 dérogations) et de Dunkerque (31)
La loi industrie verte et la limitation des recours
Depuis plusieurs années, les législateurs européen et national ont entendu simplifier les conditions de délivrance des autorisations « dérogation espèces protégées, principalement en créant un mécanisme de présomption du caractère d'intérêt public majeur d'un projet.
En France, la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 (loi industrie verte) a prévu que certains projets industriels peuvent être qualifiés de projets d'intérêt national majeur et, ainsi, bénéficier d'une présomption de leur caractère « d'intérêt public majeur » leur permettant de bénéficier plus facilement d'une dérogation espèces protégées. (et c'est systématiquement le cas jusqu'à présent pour l'éolien en mer, compte tenu de leur taille.)
En particulier, l' article L 411-2-1 du code de l'environnement prévoit que la reconnaissance du caractère d'intérêt public majeur d'un projet « ne peut être contestée qu'à l'occasion d'un recours dirigé contre le décret, dont elle est divisible. Elle ne peut être contestée à l'appui d'un recours dirigé contre l'acte accordant la dérogation prévue au même code.
« En résumé : la présomption selon laquelle un projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur – première des trois conditions pour obtenir une dérogation espèces protégées – ne peut pas être contestée au moment du recours contre l'autorisation environnementale et l'autorisation « dérogation espèces protégées » du projet. Elle ne peut être discutée, en amont, que lors de la publication du décret qualifiant ledit projet de « projet d'intérêt national majeur ». (Commentaire Arnaud Gossement lien )
Ce que pourrait changer le Conseil Constitutionnel : il redeviendrait possible de contester la RIIPM avec les dérogations espèces protégées.
Plusieurs associations (" Préservons la forêt des Colettes ", l'association " Stop mines 03…) ont déposé un recours auprès du Conseil d'Etat tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 juillet 2024 qualifiant de projet d'intérêt national majeur l'extraction et la transformation de lithium par la société Imérys dans l'Allier.
La conformité à la Constitution du mécanisme destiné à limiter la contestation devant le juge administratif de l'autorisation « dérogation espèces protégées » ( donc l' article L 411-2-1) a été interrogé par les requérants. Les requérants ont donc demandé au Conseil d'Etat de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des dispositions du second alinéa de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement
Le Conseil d'Etat leur a donné raison : « Ces dispositions, applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Les griefs tirés de ce que ces dispositions législatives méconnaîtraient les articles 1er et 2 de la Charte de l'environnement, porteraient atteinte au droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et seraient entachées d'incompétence négative au regard de l'article 34 de la Constitution, soulèvent des questions qui peuvent être regardées comme présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.« lien
« On imagine aisément les conséquences importantes d'une éventuelle reconnaissance par le Conseil constitutionnel d'une non conformité à la Constitution de ces dispositions. Elle viderait d'une grande partie de sa substance la mesure de la loi industrie verte et rétablirait le droit pour les requérants de critiquer la raison impérative d'intérêt public majeur à l'occasion du recours contre son autorisation. » Commentaire du cabinet Arnaud Gossement lien
Une décision du Conseil Constitutionnel qui peut changer le jeu, y compris pour l'éolien en mer
Il redeviendrait donc possible, à l'occasion de recours contre l'autorisation environnementale, de remettre en cause la RIIPM d'un parc éolien en mer ( que PIEBÎEM conteste puisque 1)les effets de l'éolien en mer sur la décarbonation n'ont fait l'objet d'aucune démonstration, 2) la faiblesse persistante et structurelle de demande électrique ne justifie nullement d'additionner des productions fatales intermittentes à celles déjà surabondantes en Europe à moyen terme ; et à plus long terme, 3) le nucléaire constitue une alternative bien plus intéressante écologiquement, économiquement et socialement.
La décision attendue du Conseil Constitutionnel peut changer le jeu ! Ce devrait être le 7 mars, dernier jour de la présidence de Laurent Fabius. Les requérants ont notamment fait valoir que l'octroi de la RIIPM est « définitif », alors qu' en l'état, « l'emprise du projet n'est pas définie », « les emplois, les retombées économiques, les impacts sur la biodiversité ne sont pas précisément étudiés ou connus ». « On prend une décision importante pour l'environnement […] sans que le public n'ait accès à aucune de ces informations », en contradiction avec la Charte de l'environnement » lien
C'est aussi le cas pour les zones industrielles éoliennes en mer !