Tarif du parc éolien de Saint-Brieuc ou l'histoire édifiante des négociations de l’Etat avec les promoteurs éoliens en mer
Des conditions d'attribution irrégulières et exorbitantes ont conduit à un tarif d'achat initial extravagant de 200 €/MWh ; après une « brillante » renégociation accordant de nombreux avantages (dont cas unique en Europe, la prise en charge par RTE, et non par l'exploitant, du raccordement), le tarif est finalement de… 196€/MWh ; l'obligation d'achat en cas de surproduction a disparu mais est remplacée par une compensation à l'euro près pour ne pas produire, qui s'ajoute au prix de l'électricité et est calculée selon une formule qui a entrainé des abus au Royaume-Uni ; PIEBÎEM se demande comment réindustrialiser quoi que ce soit à partir de ces tarifs et si, après autant de brillantes renégociations, des démissions à la DGEC ne seraient pas bienvenues…
1) Des conditions d'attribution irrégulières et exorbitantes
En 2012, Iberdrola a obtenu l'appel d'offre pour le parc éolien de Saint-Brieuc (62 éoliennes, 496 MW) avec un contrat initial à 200€/MWh avec obligation d'achat (même si l'électricité générée ne vaut rien, voire a une valeur négative parce qu'il y a surproduction par rapport à la demande), RTE est obligé de l'acheter à ce prix et de la revendre comme il le peut- éventuellement en payant...)
Je dis obtenu et non pas remporté, parce qu'en fait Iberdrola est arrivé second. C'est en fait un consortium formé d'EDF /DONG/ Alsthom/ Nass&Wind qui avait remporté l'appel et été classé premier par la CRE. L'Etat a choisi de passer outre l'avis de la CRE et d'attribuer le site de Saint-Brieuc à un consortium moins bien classé et proposant un prix d'électricité plus cher, estimant qu'il fallait assurer une « répartition de l'effort industriel », critère pourtant absent de l'appel d'offres dont l'Etat avait lui-même fixé les règles.
Nass&Wind s'est pourvu en Conseil d'Etat, qui lui a donné raison , a reconnu que la procédure d'appel d'offres avait été irrégulière et considéré que l'Etat ne pouvait donc pas attribuer, en 2012, le projet de Saint-Brieuc au candidat arrivé deuxième sans indemniser Nass&Wind qui faisait partie du consortium classé premier : Nass&Wind s'est vu attribuer une indemnité de 2,5 M€ qui n'a cependant pas suffit à lui permettre de continuer son activité éolien en mer. lien
2) La renégociation de 2018 : "Le coût des concessions faites en contrepartie ne pouvant être déterminé par avance, le bilan financier de la négociation ne peut toutefois être établi…"
Constatant au vu des tarifs accordés à l'étranger qu'il avait très mal négocié, avec ce tarif délirant de 200€/MWh, l'Etat s'est lancé dans une renégociation en 2018. En ce qui concerne Saint-Brieuc, le tarif à été renégocié à la baisse, à 155€/MWh , mais avec d'importantes contreparties - : 1) la renonciation de l'Etat à percevoir des redevances d'occupation du domaine public ; - 2) la suppression de la part fixe dans la formule d'indexation du tarif, qui fait passer de 60 % à 100 % la part qui est indexée ; 3) La prise en charge des coûts de raccordement par RTE- un cas unique en Europe et peut-être au monde ; 4) La suppression dans les contrats de la clause de prévention d'une rentabilité excessive.
Se prononçant en 2023 sur cette renégociation, la Cour des Comptes faisait remarquer que « deux concessions sont de nature à déséquilibrer dans le temps le résultat de cette négociation. D'une part, l'indexation à 100 % du tarif, alors que plus de la moitié du LCOE résulte de l'investissement initial, lequel n'est plus exposé à l'inflation une fois le parc construit, pourrait entraîner des rentabilités élevées, à proportion de l'intensité et de la durée de la hausse des prix, et en fonction de l'évolution, sous l'effet de l'inflation, des coût de maintenance ; d'autre part, la suppression de la clause de prévention des surrentabilités (dites surcompensation) va être un obstacle à leur récupération par l'État.
Et elle terminait son examen par un très dubitatif : « le coût des concessions faites en contrepartie ne pouvant être déterminé par avance, le bilan financier de la négociation ne peut toutefois être établi » cf note
Eh bien maintenant, il l'est !
3) Bilan de la renégociation : Saint-Brieuc payé à 196€/MWh… et très bien compensé s'il ne produit pas
Le mécanisme unique et extravaguant d'indexation totale sur l'inflation dénoncé par la Cour des Comptes a joué à plein et le tarif de Saint-Brieuc est finalement aujourd'hui de 196€/MWh… soit très proche des 200€ MWh avant négociation. Bravo!
Mais il y a plus. Le contrat d'obligation d'achat avait été maintenu lors de cette fameuse négociation de 2018 ; or, en raison de l'absence d'augmentation de la demande électrique et de l'équipement surabondant en Europe en éolien et en solaire, les périodes de surproductions électriques ( prix ou plutôt valeur négative de l'électricité générée) sont en plein explosion ( 8% du temps), RTE se trouvait donc obligé d'acheter l'électricité de Saint-Brieuc à 196€/MWh et de la revendre à perte, et ceci de plus en plus souvent. La CRE avait estimé, « à titre d'illustration », que cela représentait, au premier semestre 2024, une perte d'environ 80 millions d'euros pour RTE.
Devant ce phénomène nouveau mais pas inattendu, et qui va encore s'aggraver notamment si le PPE3 maintient les objectifs éoliens en mer, RTE et la CRE ont demandé… une nouvelle négociation. Celle-ci s'est traduite en mai 2025 par un amendement mettant fin à l'obligation d'achat. RTE n'est donc plus obligé d'acheter la production de Saint-Brieuc… mais en revanche doit payer Saint-Brieuc pour qu'il s'arrête de produire. La production potentielle pendant les arrêts imposés par RTE est calculée selon une formule complexe et les MWh non produits sont payés à … on ne sait pas ! (Ces informations sont confidentielles et à la main des ministères nous a répondu la CRE).
Ce qu'on sait, c'est qu'Iberdrola est très satisfait du résultat : « Iberdrola est compensé à l'euro près pour les mégawatts non produits et la modulation est « financièrement neutre » lien Si l'on se base sur les formules des Compléments de rémunérations des contrats de nouvelle génération, ce devrait être aux alentours de 140€/MWh…
4) PIEBÎEM : alors à PIEBÎEM, nous avons plusieurs question et remarques
1) Les arrêts de production en cas de prix négatifs ou faibles, c'est une simple loi du marché lié au caractère fatal de la production éolienne en mer. Pourquoi devraient-ils être compensés ? D'ailleurs, dans près de la moitié des pays européens, il n'y aucune compensation, ou elle est plus faible ou d'une autre nature ( prolongation du contrat) lien
2) Un mécanisme similaire au Royaume-Uni a conduit à des triches significatives des parcs éoliens sur leur production virtuelle (sur les 121 parcs éoliens analysés, 40 ont surestimé leur production de 10 % ou plus en moyenne, et 27 d'entre eux l'ont surestimée d'au moins 20 %) lien
3) Comment on peut réindustrialiser quoi que ce soit à 196€/MWh plus ce qu'il faut payer quand le parc s'arrête ? Un moratoire sur l'éolien en mer et sur terre est indispensable et urgent, il faut mettre fin à cette gabegie.
4) Après tant de brillantes négociations, quelques démissions à la DGEC seraient bienvenues !