Vents contraires sur l’éolien : oui, mais à cause de ses défauts intrinsèques : prix négatifs, cannibalisation, augmentation des coûts

18/06/2024

Le lobby éolien et ses affiliés propagandise à tout va dans la presse et se pose en victime ; certains politiques seraient mal intentionnés à son égard et auraient décidé de couler l'éolien en mer ; en réalité, il est victime de la réalité économique qui se dévoile à travers la montée irrépressible des épisodes de prix négatifs: c'est la « fatalité » au sens propre des énergies variables intermittentes « fatales » : elles sont aussi et d'abord un désastre économique. En fait la véritable question est celle-ci : Pourquoi les investisseurs dans les renouvelables deviennent -ils frileux, malgré des subventions toujours plus élevées ?

Les prix négatifs, c'est pas bon ! Plus il y a d'épisodes de prix négatifs, plus l'éolien coute cher !

Le nombre d'heures où le prix de gros de l'électricité est négatif explose en Europe. Après 5 mois en 2024, il a atteint le niveau de toute l'année 2023 (cf graphique -joint) Le phénomène est identique en Grande Bretagne, avec des prévisions encore plus importantes pour l'avenir.

Pourquoi cette augmentation de épisodes de prix négatifs ? Parce que plus on ajoute à la grille électrique des capacités de production intermittentes non pilotables (on devrait plutôt dire "aléatoires", voire "chaotiques", un terme usuel est « fatales » ), plus on multiplie les heures où la production de ces engins aboutit à une quantité globale d'électricité produite supérieure à la demande sur l'ensemble des réseaux interconnectés.

Or, physiquement, la quantité consommée à chaque instant doit être égale à la quantité produite, à moins de 1% près ; sinon, le réseau saute. Les prix de gros de l'électricité, en devenant négatifs, incitent les électriciens à réduire leur production. mais le problème est que contrairement aux moyens de production classiques, les ENRi, non pilotables, ne peuvent pas moduler finement leur production.

Par conséquent, les gestionnaires de réseau (ou les traders qui travaillent pour eux) doivent imposer des heures de "réduction de productions forcées" (en anglais: curtailment) croissantes aux éoliennes... lesquelles donnent généralement droit à des compensations financières financées sur tous les producteurs (même pilotables comme le gaz ou le nucléaire). Et évidemment,  ces prix négatifs doivent être compensés par des "sur-marges" lors des périodes plus normales...sans quoi les producteurs feraient faillite ! D'où l'explosion de mécanismes de compensation créatifs, qui peuvent différer d'un pays à l'autre. En France, des taxes spéciales sur l'électricité (CSPE) permettent de financer ces compensations.

Ces prix négatifs ne sont pas du tout une bonne nouvelle, ils traduisent le fait que des quantités de plus en plus importantes d'électricité sont produites à des moments où personne n'en a besoin. Et, même si les épisodes de prix négatifs sont particulièrement spectaculaires, il faut encore y ajouter les épisodes de prix nul ou de prix en-dessous du coût de production de l'éolien en mer. Tout ceci représente des pertes supplémentaires, donc un coût supplémentaire qui, selon les pays et les systèmes mis en place est in fine payé par le consommateur ou par le contribuable. Et il faudrait pour la France y ajouter les coût de modulations du nucléaire qui s'efface de plus en plus souvent lorsque la production éolienne en Europe est surabondante, ce qui là encore génère des couts supplémentaires, des problèmes techniques et des menaces sur la sécurité d'alimentation qui deviendront ingérables ; mais c'est un problème en soi qui sera traité dans un autre billet.

Pour les éoliennes, une tendance catastrophique se met en place, un phénomène appelé « cannibalisation des prix négatifs ».

Des éoliennes de plus en plus coûteuses doivent chasser les marges positives sur une plage de temps de plus en plus réduite tout en supportant des coûts de "curtailment" de plus en plus élevés. Ajoutez à la situation la hausse des taux d'intérêt, qui renchérit le coût d'investissement des énergies "intensives en capital" (ENR, mais aussi nucléaire) de façon plus importante que les fossiles... Et on arrive à une situation où même le niveau actuel de subventions ou prix de rachat garantis très généreux ne suffit plus à garantir la rentabilité des investissements "incrémentaux" dans les ENRi. D'où les annonces de "coupes" dans les objectifs ENRi. L'association européenne des producteurs d'électricité renouvelable (quand on parle de lobbys puissants, en voilà un beau) réclame "des solutions" de la part de l'Europe. Comprendre: plus de subventions ! ( et clame que la transition énergétique est en danger, alors que le danger, c'est eux qui le créent ! Comble de malchance, lorsqu'en hiver, le surcroît de demande lié au chauffage pourrait permettre aux producteurs d'ENR de se refaire, le nord de l'Europe est souvent frappé par des périodes de "Dunkelflaute", périodes "sans vent ni soleil" pendant lesquelles l'argent ne rentre pas.

Une seconde catastrophe : de plus en plus d'épisodes de prix négatifs c'est accélérer la désindustrialisation

L'explosion du phénomène des prix négatifs n'est d'ailleurs pas liée qu'à la hausse du nombre d'éoliennes ou de panneaux solaires, mais aussi à la fermeture de nombreuses industries "énergie intensives", notamment en Allemagne, qui réduit la demande totale d'électricité. Aussi, dans le pays qui compte le plus d'éoliennes, le nombre d'heures de "non correspondance" entre production erratique croissante et demande décroissante augmente. Et donc cela encore se surajoute au coût de l'électricité ENR qui dissuade encore plus les industriels électro intensifs d'investir et même de maintenir leurs activités en Europe.

Alors les producteurs ENR ne manquent pas d'idées et réclament à fonds perdus des investissements dans deux béquilles : le stockage et l'hydrogène

Ils voudraient également, entre autres coups de pouces financés avec l'argent des autres, que l'Europe accélère sur le financement du stockage par batterie. Mais, cette solution n'est techniquement adaptée que pour gérer des pointes de 1 à 4 heures, pas plus. Et de toute façon non rentable même pour cet usage court.

Ainsi, en Grande-Bretagne, une installation de 100 MW a coûté 86 M€ (elle est située à Pillswood, près de Cottingham, dans l'east Yorkshire. La « ferme » occupe un peu plus d'un hectare. C'est discret, ça ne dérange personne, contrairement aux éoliennes). Par contre ça coûte très cher, à peu près 440 € du kWh, en phase avec les coûts d'investissement observés (en 2018) par le département US de l'énergie dans un document de synthèse comparant divers types de technologies de stockage. Et ce donc pour un service extrêmement réduit !

L'UE a décrété que 200 GW doivent être déployées en 2030 ( soit 2000 Pillswood). Il est peu probable que les gains liés à une production en plus haut volume compensent la hausse vertigineuse du coût des matériaux entrant dans la composition des batteries s'il faut accélérer leur extraction au delà des capacités de découverte de nouveaux gisements ou d'investissements des entreprises minières Bref, l'ordre de grandeur de l'investissement visé par l'UE dans des technologies de stockage est de 150 à 200 Milliards d'€, avec beaucoup de chance.

Technologies de stockage dont nous n'aurions absolument pas besoin sans les ENR intermittentes ... C'est 10 fois le coût des EPR de Flamanville, sachant que les autres réacteurs de la série devraient, espérons le, profiter de l'acquis pour voir leurs coûts unitaires baisser drastiquement.

L'association des producteurs de renouvelables presse également l'UE ou les gouvernements locaux d'investir à fond perdus dans la production d'hydrogène éolien. Seul problème: cette filière est également immature est incroyablement coûteuse. Au point que le soufflé médiatique autour de l'H2 retombe douloureusement... Et les ambitions européennes avec. (cf là dessus le rapport de l'Académie des Sciences sur l'hydrogène de 2024. lien )

Et à cela rajoutons les coûts non maitrisés des éoliennes flottants et leur manque de maturité technique qui fait exploser le coût des projets pilotes en Méditerranée et conduit les banques à envisager de ne plus les financer, comme nous l'avons expliqué dans notre billet précédent (la dérive sur les « parcs pilotes » à 320 euros le MW.h)

Finalement, en fait d'hostilité politique, l'éolien se heurte à la simple rationalité technique et économique : nous produisons trop d'électricité intermittente fatale décorrélée des besoins, et par conséquent, il devient difficile à financer. Le programme insensé de 45 GW d'éolien en mer n'a aucune rationalité électrique, climatique, économique, il doit être stoppé !

Un grand merci à XXC benard @vbenard pour ses fils twitter vraiment remarquables auxquels ce billet doit beaucoup ! lien